Je me retrouve dans le train. Je ne fais pas vraiment exprès. J’y suis. Je voyage pour de bon. Un Paris-Montpellier. Le 6229 de 10h42. Je lève les yeux, j’y suis. Tout va bien. Tout est normal. Tout est terriblement normal. Trop. Je vieillis. À l’exception du désastre fonctionnel des paysages, des habitudes, de la parole, tout est normal. Derrière moi un homme anime le moulin à paroles, d’une manière monotone, pour ne rien dire jusqu’à la mort certainement. Mon fils joue avec sa console. Une demoiselle assise face à moi dans l’autre rangée, dans le carré des quatre sièges, alterne son attention ente son livre et son téléphone. Notre vitesse actuelle est de 286 km/h nous informe Pascal le conducteur. Quelqu’un a pété. Quel enfer ! Le voisin de droite imite mon voisin du derrière. Il anime lui aussi le mécanisme d’un moulin à paroles fat, heureux, sublime. Peut-être la scène a-t-elle lieu sur une autre planète, une planète mauve orangé, avec dedans des voyageurs qui expriment des flatulences heureuses à hauteur de jour. Le merveilleux se tapit bien quelque part, survient subrepticement, entre les centièmes de seconde. J’y suis, crie-t-il ! Je viens de le voir surgir dans la rame, comme on sortirait le visage des nuages pour explorer le soleil. Mon voisin fat souffle au-dessus les nuages. Tout ceci du train tient par une loi universelle, tacite. Une destination convenue, une organisation qui nous pousse en cette rame ; chacun son numéro. Que d’effort sur le néant. Que de conquêtes. Nous venons d’entrer dans un brouillard épais. Mon voisin de derrière me fait l’effet d’un crapaud mort, presque mort, qui coasse, qui coasse comme on coasse pour se tenir à quelque chose. Quelqu’un a de nouveau pété. Mais une odeur de mandarine arrive par-dessus. Sa voisine le relance. Mais elle semble moins animée, comme une clochette dans le vent faible. L’équinoxe dit-il, l’équinoxe.
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