Nouveau jour, nouveau jour, dirait le refrain de la chanson oubliée.
Je n’ose regarder. Mais si : J’y suis !
Je savoure le temps rétréci, cette seconde,
Comme le coléoptère sa goutte d’eau.
Ciel bleu à portée de doigts,
Ciel bleu à portée de lèvres.
Alors peut-être – faudra-t-il assembler chaque seconde, chaque morceau chaque récit, d’un instant l’autre, d’un instant l’autre, comme une phrase qui coud.
Et s’en vêtir.
Nouveau jour, nouveau jour, dit la chanson.
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Perdre la gare.
Se concentrer sur le rayon du matin.
Se concentrer sur le matin la lumière.
Se concentrer sur la lumière que le wagon du rer tranche avec sa rime crassante sa voix ses voies puis son signal sonore et la décompression des suspensions et son moteur qui emporte les passagers, avant que la lumière ne revienne – plus éclatante.
Se concentrer sur la lumière, malgré le bruyant ballet des semelles dans l’escalier, en rythme comme on claque des mains, la toux grasse du vieil homme, le départ d’un autre train, et les mouvements de tourniquets au loin.
Et l’appel dans le téléphone du vieil homme à la toux grasse.
Se concentrer sur la lumière.
Accepter tout ce cirque et le considérer comme les mauvais motifs d’une mauvaise toile, mais se concentrer plutôt sur l’atelier. Sur l’atelier où la toile réside.
Et voir que chaque chose ici malgré l’obscurité est à sa place.
Souvent je repense à ce poème que je n’ai pas écrit qui gît quelque part dans une mémoire intacte mais qu’aucun mot ne réussissait à retrouver. Peut-être était-ce le poème qui creusait un peu plus l’espace de son foyer. Je repense à ce poème quand je suis comme à cet instant longeant les toits dans le métro aérien et que je regarde sur mon coté gauche. Il est comme un rayon de soleil qui se réfléchit chaque fois que l’inclinaison le permet sur le verre sur la fleur ou dans le bosquet. Mais dans mon poème ce rayon c’était la mémoire, qu’elle se reconstruirait plutôt qu’aucune autre cité.
Rien
Supprimer une lettre
Dédoubler la première
Cela fait rire
Quatre lettres qu’il faudrait avoir en poche
Rien
Cela pourrait être une devise :
de vie.
Défaire. Défaire le paysage du matin. Mais garder celui d’un matin.
Du train. D’un train.
Paysage maintes fois répété. Comme un comédien qui saurait son rôle par les seuls habits qu’il porte au point de l’oublier, et de dire : Je suis le capitaine Ad hoc.
Défaire le paysage du matin. Mais garder celui d’un autre matin, presque présent.
Presque.
Il faut toujours un trou, un petit trou. En cas de gonfleur. De sorte de maintenir une pression acceptable en cas de gonflement. On n’y peut rien. C’est comme ça. Ça gonfle. Rien à faire. Ça gonfle. Le gonfleur n’est pas rien, remarquez ! Certains sont des gonfleurs professionnels. D’autres moins, du dimanche. Alors forcément il y a toujours quelques prétextes pour être gonflé. C’est pourquoi il faut maintenir un petit trou. Dès fois que. On sait jamais. Mais ça siffle. C’est un peu gênant quand même ce bruit. Mais si je ne laisse pas siffler, ça gonfle. Gonfle, gonfle. Gare à l’éclatement. C’est pourquoi je ne bouche pas. Je ne bouche pas. Ça siffle. C’est à celui qui gonfle le premier. Gare à l’éclatement.
(portrait, 26.02.24)
La maladie vous écrase à la surface des mots, vous presse, vous oppresse. Vous vous retenez de tousser. Un nénuphar dans un bois tassé pourrait-il faire le pari d’un rai de soleil (s’il avait une conscience?) ; mais un brin de fleur au milieu d’une poudre calcinée, à quoi rêverait-il ? D’eau, serrant sur son cœur son souvenir en forme de goutte. Est-ce ainsi au moment du départ ? Chérir la vie et remercier ? Une cave ne peut servir de séjour à moins qu’on soit rat ou mite. Mais parfois il arrive que le cœur y ressemble. Alors quelle espérance former ? Assis au fond du RER, sale parmi soi (canettes, crachat) il suffit de se rappeler une goutte, de la regarder, n’importe laquelle des gouttes tremblant sur la vitre, et peut-être un regard, une personne, vibrant comme elle pour se rappeler ; se rappeler quoi ? Voilà bien une chose difficile à énoncer, à justifier comme si les deux mains arrachaient au récit la tête noire d’un monstre marin sorti des eaux d’encre, avant de la laisser repartir. Se rappeler quoi ? Il restera, en plus de la calme éternité, un rai de lumière, pour plus tard, plus tard. Et de se dire en suspend, quelle note jouera sa corde.
Ah, ça y est j’ouvre les yeux. Je me retrouve à nouveau là. Un simple moment d’inattention et je retrouve les lieux, la scène ce par quoi tout commence. Si je regarde le reflet dans la vitre une nostalgie de l’ancien monde renaît. Mais restons là. Dans le train à présent que j’y suis. Que j’y suis pour de bon. Ne nous laissons pas distraire par les atavismes qui font que le verre sur la table qui roule tombe. Et se casse. Restons là un instant. Un instant encore. Mais je l’ai perdu, déjà perdu. Le reflet est le reflet de son image et l’image son reflet. C’est cuit . C’est mort. Ah non pas encore. Ça revit ; j’y suis. Malgré. Ah non ça y est. Le reflet est l’image. Merde alors je demanderais volontiers de l’aide aux autres passagers qu’ils me retiennent, me maintiennent dans les lieux. Ça y est, j’y reviens. Attrapez-moi, attrapez-moi. Gardez-moi ici. Avec vous. Maintenez-moi dans l’étrangeté de ce drôle d’endroit. Dans l’étrangeté du monde ; qui rejoint, à l’horizon du point, celle des goûts d’une époque. A-t-on idée d’inventer des sièges avec des accoudoirs, dans un tissu rayé avec cette drôle de chose lisse qu’on nomme appuie-tête. Mais peu importe car là n’est pas la question. La question est celle, est celle : l’évidence même de l’étrangeté. Je me regarde discrètement dans la vitre. Je me regarde du coin de l’oeil. Ah je me fais rire franchement. Ah les amis restons ici encore un instant un instant un tout petit instant. Ah ah. Chaque humain voyage avec ses habitudes : son téléphone, ses feuilles à corriger, son petit chat à caresser, une autre a les yeux trop emplis de passé. Ah si je voyais à cet instant celui qui serait moi, faire des ronds avec l’index sur le tissu du siège, je le comprendrais lui aussi avec son habitude. Je le comprendrais comme celui qui ferait ce geste comme pour fixer le souvenir d’un ricochet par celui d’une cerne. Tournoyer l’index dans un sens en regardant le reflet de l’index tournoyer dans l’autre sens. Ah comme cet endroit est extraordinaire. Et que ces mots restent, qu’ils soient la vitre du TER par laquelle je puisse voir encore, tantôt le reflet en son dedans.
Ah si je pouvais faire un pas, un petit pas de côté.
Mais pas encore.
Je pourrais m’allonger dans le présent, pour me rendre avec lui.
Oh chien fidèle, oh vieux compagnon !
Toujours là, frétillant : à m’attendre
M’attendras-tu, longtemps encore ?
Ah si je pouvais faire un petit pas,
Ce petit pas ce petit pas de côté.
La caresse de la langue.
Les hommes sont dans leur voiture de pensée.
Mais pas les arbres.
Il klaxonne. Les phares éblouissent le passant.
Pour la première fois, je vois la place.
Tant de détails qui restaient cachés, se soulèvent.
Mon inquiétude de cette découverte se lit dans mes yeux.
Et encore je ne regarde qu’un côté de la place, que d’un côté du banc.
Le banc tremble.
D’autres ont ils la chance d’avoir le regard qui marche, quand ils passent ?
D’autres connaissent-ils cette place aussi bien que je l’ignorais.
Je la traverse depuis des années.
D’ici, de ce banc, pourrait-on saisir le monde dans ses bouleversements, ses soubresauts ? sa constance.
La place s’est illuminée. Il est 17h57.
Je regarde le sol.
Le vertige.
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