Littérature, écriture

Catégorie : Poèmes (Page 1 of 31)

Journal des poèmes 

23.11.2024

Je suis chez moi. Je transcris le poème. Je lève les yeux, je souffle un bon coup. Je lève les yeux. Je me vois dans le store, dans le reflet, dans la vitre. Il est 18 h 53. Je regarde mes doigts qui tapent sur le clavier. Je me regarde à nouveau dans le reflet, tout à fait suspicieux. Le linge tourne dans la pièce à côté. Pourtant, tout est là, à sa place. Le reflet du verre est là, il bouge si ma main déplace le verre sur la table. Dans le reflet de la pièce la lumière derrière moi m’indique qu’une lumière est derrière moi, et je me tourne en effet : elle est bien là, je suis bien là. Je souffle un bon bouc. Je regarde mon reflet, un sourire de diable se dessine, c’est certain je me scrute. Qui parle ? Il existe quelqu’un entre lui et moi, et ce quelqu’un est moi-même : mais dès lors moi disparaît et lui s’éteint. Comme une flamme au bout d’une mèche. La flamme se rallume. Je lève les yeux. Mon reflet me regarde dans la vitre, tout à fait suspicieux pendant que j’écris. On dirait qu’il n’est pas content, qu’il va me sauter dessus. Je souffle un donc à l’attention de qui, allez savoir… Je regarde mes mains taper sur le clavier. C’est vertigineux, on dirait qu’il a fait ça toute sa vie. Mais qui est « il » ? L’index frotte le pouce. Il ne sait. Quelqu’un d’autre me regarde. J’accepte la situation. Un frisson parcourt mes bras jusqu’aux mains, le corps. Les poils se hérissent. Je ferme les yeux, je respire avec une attention plus marquée. Suis-je à l’endroit que je crois être ? Le bruit de la machine à laver me parvient mais je perçois que le bruit n’est pas celui de la machine, mais de ma reconnaissance ; je me laisse bercer par ce bruit autre, qui donne une étrangeté à l’espace où je me situe. Je me souviens à présent être nulle part, tout à fait nulle part, je veux dire sans date particulière ; j’aimerais ouvrir les yeux pour savoir où je me situe ; mais à défaut j’ouvre mes yeux, mon index éprouve une difficulté particulière à taper ; j’aimerais me reconnaître, mais la première fois est la plus… je n’arrive pas à trouver le qualificatif qui ferait que la phrase entre jusqu’au trou — étonnante, difficile ? Mon corps insiste pour me gratter le bras, le nez, la nuque, l’autre bras. Je reviens ici, une décharge se manifeste en l’écrivant. Ici est circonspect. J’ai de la chance d’habiter cet ici comme la peau sa pomme… “Comme l’appeau sa pomme, comme l’appeau sa paume” tapent les doigts. Ils s’en vont dans la nuit.

Pièce, chez moi, 18h53, 23.11.2024

18.11.2024

Qui ? Quoi ? Tout semble trop familier ici, dans cette salle d’attente. Neuf personnes, dont moi. Quatre chaises vides. Une table basse rectangulaire au centre de la pièce rectangulaire. La table est vide. La pièce est décorée d’une plante, mais à cette distance je ne peux saisir si elle vraie. Près de la fenêtre, la bouche de la personne un bruit de chips, auxquels s’ajoute celui du sachet que sa main plie et déplie avec discrétion. Quelqu’un tousse. La page d’un livre se tourne. Chacun dit Bonsoir. Tout semble trop familier ici. Devant moi, il est au mur un cadre avec un pont de cordes qui ouvre sur un paysage d’arbre dans le brouillard. Tout va trop bien. Tout est trop stable. La table est la table. La salle d’attente est la salle d’attente. Ma chaise est ma chaise. Et dehors est dehors. Mince. J’ai bien fait de venir.

Salle d’attente, 6 Pl. d’Italie, 18h28, 18.11.2024

19.11.2024

Il pleut. Chaque goutte contient le “il pleut”. Chaque goutte qui goutte. Je suis chez Pho Viet. La décoration est spartiate. A coté de moi, il est une plante factice. Deux femmes déjeunent sur la banquette (et racontent des histoires). Je suis dans le 13e, au 115 boulevard de l’Hôpital. Les voitures passent dans la devanture, dans les deux sens. J’ai cette chance de manger. Il pleut. Chacun est à sa place. Chaque chose est à sa place. J’ai cette chance. Dans le bol, tout est à sa place : nouilles, coriandre, carottes râpées, une, deux… Remuez, dit la serveuse. J’ai cette chance. Chaque mot est dans son objet. La fourchette est dans la fourchette. Le bol dans le bol. J’ai cette chance. Et le verre dans le verre. J’ai mal aux dents. Il pleut.

Chez Pho Viet, 115 Bd de l’Hôpital, 19.11.2024, 12h37

26.10.2024

Faire l’effort, cela fait longtemps, tiens. Évidemment je ne me souviens de rien. Il me souvient du chemin, mais pas de l’état. Du moins j’imagine l’état. J’hésite. J’ai envie de rester là, à l’entrée ; comme une puissance au seuil. À moins que le charme se soit estompé, que l’enclos soit clos, – que je sois condamné à rester là, dans cet espace-temps : une réalité, quelconque. Évidemment tout porte à croire : l’automne, les murs, la date. Le ballon. Même le passant avec son air mélancolique, qui passe derrière la grille du parc.  Tout me porte à rester là, sur ce banc, entre la corde à sauter – son mouvement hélicoïdal, et le ballon – les passes ; entre les deux béquilles. Impossible de sortir d’ici pour le moment. Mon voisin met un sens inouï pour faire exister son mouvement de ballon, ses passes à son fils, son fils lui-même. Il crie, il est bruyant, il explique ce qu’il fait. Il frappe le ballon. À présent la lumière dévoile l’or du platane. Un bruit lointain fait celui d’une trottinette qui pleure. Et, je suis censé moi-même être assis, sur ce banc, dans le square René-Le Gall, à côté d’un arbre remarquable. Bref, tout est signifiant ; rien n’y échappe. À force de ne plus l’ouvrir, il est possible que le temps ait verrouillé la porte. Je suis bien quelque part, parmi les passants, les perruches, la robe de mariée qui passe dans le ciel, la paréidolie des nuages. Je suis bien quelque part, dit l’homme. Je n’arrive plus à voir, à travers mes yeux, le néant, pas plus qu’à entrer dans l’éternité ; à faire corps avec. Cependant, ce qui se présente depuis tout à l’heure me convient tout à fait. L’espace-temps est remarquable, malgré la douleur du pied, la vue faiblarde, je n’ai rien à changer du lieu. Me proposerait-on d’être ailleurs, je ne saurais quoi ajouter. Le mouvement des perruches, leurs cris, me rapproche insensiblement de l’espace entrouvert, entre l’ici et le monde des morts. Quoi que cet ici ne soit plus tout à fait le même : l’enclos s’est ouvert, et le sujet sourit. Dans le parc, sur l’asphalte, l’enfant fait rebondir un ballon sur son genou. Ça y est, je vois. J’ai vu. 

05.09.2024

Regarder la pluie. J’ai cette chance, aujourd’hui. Regarder la pluie. Et l’entendre. L’entendre. On la voit mieux tomber devant l’arbre. Un pin fait de ces traits penchés, de quelques degrés par rapport à la verticalité du ciel. Et les gouttes, suspendues au bord de mon balcon, à des feuilles. J’ai cette chance ; voir la pluie tomber. Avoir le loisir d’avoir ce temps, pour la contempler. Et l’entendre. Être hors du monde et l’entendre. Le volume se baisse, le ciel s’éclaircit, mais on voit toujours les traits penchés, plus fins sur le pin. Réussir soi, cette fois-ci à faire une de soi une goutte – goutte suspendue de soi – tandis que le temps coule, que les roues des voitures laissent entendre l’adhérence pressée de leurs passagers, que les sirènes vont d’un bout à l’autre de la ville, comme les habitants du ciel.
Être cette goutte : suspendue.

Res T

Et si l’homme écrivait. Se tenant. Penché. Au bord. La difficulté serait De. Double. Tenir le fils. Mais. Rire. Il serait facile de se tenir à distance. Mieux, d’idéaliser l’instant d’une peinture figurative Chassant ici là le vent mauvais des métaphores. Mais. Ce serait. (La chute) (Il faudrait) (Entendre la ligne). Ce serait. Ainsi resté. Entre le S et le T. Sentir. Tenir. Et si rester Était la clé. Faire grandir Ce qui. Justement Ce qui. Ben tiens nous voilà Embêtés. Faire gonfler le banc. Pour l’image par exemple. Le banc gonfle. Le Blanc gonfe. Le banc gonfle. Le blanc gonfe Onfle c’est dur Bref. Souffer gonfler Souffler gonfer. Ce n’est pas du diverstissement. C’est tout à Refaire. Nous y sommes. Se tenir. Près. Prêt. Faire fleur ? Expulser. Non, mince. Faire entrer ? Faire quoi ? (évidemment grenouille) Avec qui ? Se tenir près. Mais alors (bien fière liaison) Le mésalor. Le mésalor arc tendu. Le Mésalor Pays (ou pas) Pièce d’horloger (d’or logé) Nous y sommes. Balancier. * Tic tac tic tac Nous y sommes. Toujours le Toc toc Eux prennent leur temps : les nuages. Mais alors Mésalor : Rien On serait presque gêné d’avoir fait trace. Alors quoi ? Se taire Complètement. Ne reste plus que la forme. Compléter le silence. Se taire complètement Est-ce ? * Qui parle ? Qui veut parler à qui ? Qui parle à soi ? Qui regarde en effet. Qui est. Je tu il nous vont-il. Qui est là : depuis Toujours. Qui s’interroge. Je est un grand qui. Granki. Qui respire qui voit. Ah, quoi voit qui ! * Se tenir prêt. Comme on vient. Se tenir prêt. Quoi regarde qui. Qui est qui, naturellement. Quoi regarde qui. Quoi est qui. Il y a d’autres quoi autour de quoi, présumé-je. À dire qu’ils sont qui…
Quoi regarde qui. Qui est coi de toute façon. Se tenir prêt. Quoi me regarde. Nous sommes cois.
* Choeur écho ?
Quoi Quoi Quoi Célébration ?
Parfois le langage est comme un soleil fort montrant les ombres
Chœur écho
Dans quel page s’écrit-on nous-mêmes
Homme-sandwich pour la plupart de nous
Célébration des sphères
Quoi intangible vivant vibrant
Qui petit quand même
Qui ici présent, mais quoi d’autres : vivants présents
Quoi Quoi vous parlent
Quoi reste à qui
* Qui Qui
Se tenir prêt
Qui qui
Se tenir près 
Bord du tour
Tour du bord,
Se tenir prêt.

Res T, 06.10.24

28.07.2024

Mon rêve serait d’avoir une heure comme un tiroir. Une heure parmi les heures du jour. Mais une heure qui serait un tiroir qui échapperait au jour lui-même. Un tiroir magique, en ce sens que le jour, les événements du jour, n’auraient nulle emprise sur lui ; qu’il passerait inaperçu. J’ai regardé l’extrait d’un reportage d’un chauffeur routier qui dépensait tout son salaire en prostitués en Espagne. Il faisait la route des bordels, et que dans chaque bordel il ouvrait une porte, deux portes, trois portes, l’une après l’autre, le même mouvement de queue, la même enseigne, la même joie. Mais mon tiroir ne ressemble pas à cette joie. Puisque c’est un tiroir Ailleurs. Il serait un métier à tisser qui ferait un ouvrage, dont le principe ferait que je reprendrais cet ouvrage à l’endroit laissé, et je le continuerais sans me perdre, sans m’emmêler les doigts ni le fil. Mais qu’il suivrait un patron, parfaitement solide, qui échapperait à la conscience des jours. Une heure creuse, creusée dans la roche, qui vérifierait les ruisseaux et le pli de la montagne. Une heure creuse qui contiendrait cette fois-ci tout le merveilleux et la densité consciente de l’être. Un ouvrage qui n’aurait pourtant pas d’histoire à raconter, mais qui serait faite d’une aventure, mais une aventure faite d’un fil d’or. Un ouvrage que je pourrais reprendre à n’importe quel moment du jour, de l’éveil ou du sommeil. Un ouvrage qui gonflerait à mesure de son avancée, comme une immense toile. Un ouvrage qu’il ne serait pas possible de finir au prix de perdre soi-même, sa boussole et la lisière. Il ne pourrait pas être un ouvrage d’une folle ambition, sans quoi l’aventure échouerait dès la première ligne, dès le premier mot. Un ouvrage humble, à portée d’une phrase dans laquelle le lecteur pourrait se glisser en toute confiance malgré le vide sous elle, malgré le vertige. Un ouvrage dans lequel le lecteur pourrait avancer aveuglément sans avoir peur de perdre son âme ou son temps. Un ouvrage qui n’ôte pas l’espace aux autres vivants, mais qui les tiennent à portée de main. Un ouvrage qui garderait sa flamme quel que soit l’instant du jour, ou de la nuit à laquelle il serait repris, qui ne vous rendrait jamais seul malgré l’épreuve du recueillement. Un ouvrage qui serait lu ou pas lu, mais qui tiendrait cette place à part, à côté du cœur.

 

15.07.2024

Je suis passé de l’autre côté. Je passe de l’autre côté. Je passe. J’y suis. J’oublie trop souvent que cet autre côté est ici ; ici même. Que l’antichambre des rêves est dans cette pièce. Qu’elle est là, le jour durant. Qu’il suffirait de le savoir. Bientôt, je basculerai de l’autre côté, je veux dire dans l’espace du sommeil tandis que les rêves sont déjà là, comme une flamme sous les yeux, comme le poisson qui nage tranquillement dans l’aquarium. On aura peut-être oublié le poisson au réveil, mais pas les nombreuses clés qui restaient là, et accrochées sur la porte des vestiaires. La littérature est un encouragement à sortir de la voie, à suivre la sienne.

 

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