Littérature, écriture

Catégorie : Journal (Page 8 of 12)

26.10.2020

Habiter. Habiter autrement l’espace. Habiter autrement les lieux que nous traversons tous les jours. Les rendre illisibles. Comme on pose un bouquet de fleurs relâché sur une table. Les fleurs finissent par disparaître, avec la table. Accepter de rendre tous ces lieux illisibles, sauf les formes primaires : le rectangle d’un lit, le rond d’un verre. Cet élan nourrit des souvenirs : le balai d’un enfant. Accepter d’emprunter ces formes nouvelles — même si elles rendent un certain vertige. Sombrer dans le sommeil serait un piège et ne rien noter serait l’évidence même, comme un cerf-volant qui passe sous les yeux avant de disparaître. Oui, se laisser traverser par ces formes nouvelles. Accepter leur dualité-contexte. Accepter de ne rien céder au chantage serait cent jours sans invariant. Faire le tour d’un rêve oublié. Accepter la relance tardive, et saisir l’eau où la pensée s’instruit. Promesse de fontaines.  

 

09.08.2020

Ina —
Les nuages eux-mêmes ne bougent plus 
Ina —
Les corps sont des masses qui déplacent l’air chaud 
Ina —
Un, deux, trois corps 
Ina —
Les arbres pas ceux dont les feuilles ont péri 
Ina —
tous les arbres sont en alerte 
Ina —
Les rues sont vides 
Ina —
La corneille tire le bec
Ina —
Les volets sont clos. 

 

16.02.2020

Que sommes-nous derrière ces couches de poussière ? Quand tu me poses la question que tu ne m’as pas posée. Quand je réponds à la question, restée suspendue sur le coin de ton œil. Que suis-je ? derrière ces feuillets, ces titres, ces croûtes. Ces croûtes advenues par le trop plein d’absence. Je suis l’écorce ; que la main caresse. Je suis le paysage sans cesse reconnu par le pouvoir des mots, de la diction. Je suis l’étendue de la pensée, faite de paysages et de distances. Je suis ce doute qui oublia qu’il était doute. Je suis cette cire devenue froide. Pourtant, je suis cet homme que ta présence révèle – au-delà des titres, des futurs, des directions. Un homme qui demain encore oubliera qu’il t’a rencontré. Un être que ta présence réveille. Alors, pour répondre à la question que tu ne m’as pas posée, je suis celui qui t’a rencontré dans son sommeil. Je suis peut-être cette flamme. Je suis peut-être cette lumière derrière ces feuillets, ces titres, ces poèmes.

13.11.2019

Je prends mon dictaphone : il pleut. Il pleut. Il pleut. Il pleut des morceaux. Il pleut des morceaux. Les taches. Les taches. Même sur le mur. Même sur les murs. il pleut. Il pleut des morceaux. Il pleut. Il pleut. S’il fallait les rassembler, ce serait compliqué à présent. Comme un sablier. Mais il pleut. La pluie fait disparaître le plafond. Les secondes s’enfuient. On pourrait sentir le sable sous nos pieds tant elles sont nombreuses. C’est comme perdre un bras, lentement sous nos yeux. Il pleut, il pleut. Le monde est chargé de valeur et d’un éclat. Il pleut, il pleut. Pourquoi certains continuent-ils à coller des posters sur les murs ? Que verrait-on encore ? Quel lien resterait-il, tel que le vivant nous le connaissons mort, tel que nous nous sentons seuls. Les grosses gouttes transforment les eaux en rivière. Et chaque lettre en courbe et chaque courbe en tache. La pluie se désagrège à mesure que le mot lui-même. 

13.10.2019

Ça y est, je me retrouve à nouveau nulle part. Il suffit de la savoir. L’autre porte s’ouvre, mais ce n’est pas automatique. Je n’ai jamais croisé au même instant un regard, qui soutiendrait une même dimension de lieu, d’espace, une même dimension de temps. Nous ririons. Les intentions, les postures me font prendre conscience que le nulle part s’éloigne, tandis que le train n’a pas démarré, que nous sommes toujours à quai. Le train démarre. Il y a cette demoiselle assise sur la banquette à côté de la mienne, qui me fait des sourires du coin de l’oeil. Mais la pulsation du désir est compatible avec le nulle part. Je suis nulle part. Le nulle part, c’est le monde augmenté de lui-même. C’est le monde pour la première fois. On pourrait jouer à se faire peur. Être au monde pour la première fois. Les soucis ont repris le dessus, et une forme d’inertie plus épaisse que le monde ; mais la lumière du monde entre pour la première fois dans le wagon, par intermittence. C’est la raison pour laquelle le soleil, le visage, la lune ont la forme du sourire.

06.09.2019

Je crois que le haïku du moins dans ma pratique — Le signal et sa traduction — était une clé d’entée et d’accès à l’autre monde. Mais par autre monde, il faut envisager un monde, fait de multiples strates, qui se déploie tel un éventail. Je dis éventail car je n’ai pas deux ailes, et mon premier recueil ne s’appelait-il pas Poèmes en éventail ? À présent, je vis ailleurs comme si la somme de ces clés d’entrée avait tissé l’autre monde, malgré moi, par la multiplicité des points ouverts, ici. Naturellement, comme tout à chacun je suis pris par les affres d’une réalité non quotidienne érigée en quotidien, par le poids des mots, des regards, des habitudes. Et aussi par mon penchant naturel à l’obscur, à la matière brute animale. Mais il faut voir désormais, dans cette réalité quotidienne, plus des boules à neige, comme on les ramène de nos voyages, des boules à neige suffisamment attractives et lumineuses pour attirer le papillon que je suis par mégarde. Mais une fois la nuit venue, ou la force de soustraction suffisamment grande pour me guérir de la pesanteur, l’autre monde reparaît, reprend ses droits. Et le poème, ou les poèmes seraient alors le témoignage sincère de ce drôle d’endroit qui n’en finit pas de surprendre.

17.08.2019

Regarder la pluie. Regarder la pluie tomber. Vraiment s’arrêter. Ne rien attendre. Ni de la pluie. Ni du pigeon qui passe. Ni des arbres roussis. Ni de la circulation. Être là. Ni des bulles dans les flaques. Être là. Être là. Ni demain. Ni d’hier. Ni de la circulation des voitures. Ni des roues. Être là. Tenter d’être là. Par intermittence.

 

15.08.2019

Se détacher de la pesanteur. Se détacher des mots. Mais non. Rien n’y fait. Ça vous colle la peau. Cette réalité vous colle à la peau. C’est une réalité à ciel ouvert. Avec ses barrières, ses limites. Tout, strictement tout, chaque objet dans la rue, chaque détail, a recouvré sa fonction de décor, son intention première, son intention de mise en scène. Jusque dans l’attitude, jusque dans la parole. Comme une musique trop sue. C’est insupportable. Le moindre signe est amplifié au passage du corps sensible. Tout, strictement tout, a recouvré sa fonction de décor. Tout s’est dévêtu de sa nativité première. La fuite en réalité n’en était pas une. L’éloignement géographique ne faisait qu’amorcer ce grand retour, que mieux préparer la chute des toiles. Assis sur un banc, dans un jardin public, je contemple néanmoins cette nativité première, comme une espérance, comme un homme assis derrière le hublot qui regarde l’océan. Et dans ce décor il n’y a pas d’espérance puisque demain n’existe pas, puisque demain est un mur qu’il faut longer, puisque demain est ce mur dans un ciel resplendissant.

01.08.2019

Le phénomène est la narration du réel d’une époque sans signe. Le phénomène est le signe de ponctuation d’une époque sans mot. Il n’y a plus du mot. Il y a des signes partout, qui ponctuent l’espace, autour desquels gravitent des hôtes, autres, autrui : des cris, des émotions, de la colère ; les draps sont sortis des armoires, on a ouvert les fenêtres ; des cris, des émotions, des draps, de la colère. À côté il y a les papillons. Mais les papillons constatent et ne font pas de châteaux. Les papillons visitent les châteaux sans jamais les construire. Les phénomènes sont des points dans des ensembles vides. Ce ne sont pas les points sur une page. Ce sont des points dans l’espace vide. Les marronniers continuent d’étendre leurs bras, tant qu’ils peuvent, tant qu’il pleut. La goutte d’eau, cette richesse inouïe, à l’œil, à l’ouïe, au sens, au goûter, aux lèvres, au toucher, à la chair, à la vie. Partout, la narration du réel part en fumée. D’abord les poèmes, puis les modes d’emploi qui sont beaucoup plus lents à brûler, comme la goutte de poix qui tombe, à tomber. La terre aussi prend vide, des pôles vers le centre, du ventre bleu vers le centre gris : goutte de mercure. Coqurille, croquis, croquille, spiale écrasée. Parmi les fleurs champêtes, nous nous mettrons à danser. Nous tournerons sur nous-mêmes en faisant des feux d’artifice avec nos bras levés, qui font des spirales en fusée, comme on souffle des bougies, sans qu’il n’y ait rien à fêter ; sinon un haussement d’épaules.    

14.07.2019

Les enfants sautent et jouent dans la forêt, gonflable, juste avant le terrain de foot, tandis que le bois étend sa lisière derrière. Le monde ne dit rien et pourtant le mystère du monde est présent en chaque chose ; en tout — même dans la tribune vide en bordure de terrain, même dans le caillou. Le mystère transpire du ciel, des nuages, de la surface de toutes choses ; et plus encore à cet instant, des arbres qui se dressent à la lisière du bois ; de chacun d’eux. Et mon impatience non à le décrire, mais à y entrer, équivaut à mon silence. D’un château l’autre, d’une forêt l’autre ; allons, allons les enfants. 

 

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