Littérature, écriture

Catégorie : Journal (Page 7 of 12)

Scrupule

Les trous sont gigantesques. Fermer les yeux permet-il de les éviter ? Ce sont des trous noirs. Finalement, tout est calme. L’agitation quotidienne ne permet pas de les constater. On tombe dedans. On vit dans le trou comme on dit. Les bancs, les bancs publics sont en bordure, mais les pieds sont dedans. Le soir dans mon lit, dos au mur, je me tiens debout. Avec l’espoir de ne pas tomber. Le matin, je me redresse je ramasse mes affaires. Je me presse. Il n’y a pas de lumière au fond du tunnel. C’est juste un trou. Lever les yeux permet-il de le constater ? L’arrêt, les microcoupures, sont une façon de survie, et les grandes brasses forment une parenthèse. Mais le froid finit par vous ressaisir, et la racine des problèmes, ce chiendent qui n’en finit pas reste. Les microcoupures sont une forme de résistance. Mises bout à bout, elles sont une seconde à soi, comme une bulle dans l’eau claire, que le trou n’a pas. La suspension n’est pas l’arrêt. La suspension est illusoire, mais elle soulage le corps de la pression exercée par le trou. Elle est ce rebord de fenêtre sur laquelle poser sa joue. On se réveille avec la marque. L’effet d’attraction du trou est tel que les chaussures vont de trous en trous, dans tous les trous. L’enfance semblait nous préserver, dis-tu ? Mais vue d’ici, dans le trou, l’enfance est une idée. Qu’est-ce qu’une tomate pour quelqu’un qui ne l’a pas goûtée ? Et à y regarder de près, avec la dent, avec les langues, l’enfance est à naître. Un trou. Trois trous. Il est difficile de les compter. On omet le second. Et le monde manque à l’appel. Creuser le trou un peu plus. Approfondir les tunnels. Mais après ? Et après. Et. Vous dîtes. Vous dites que l’amour nous sauve. Petite lumière de. Si ça vous chante. Mais l’univers est immense. Et les ténèbres consolent. Elles sont plus grandes que le trou. Me consolent et m’apaisent. Dans les ténèbres, le trou ne pèse rien et la lumière est intacte. La lumière de l’amour, dis-tu ? Mais c’est une flamme solitaire. (Nous avons la même.) Creuser la vie. Allons donc, passer à côté, il vaudrait mieux ! Avec des tasseaux de bois, dans les bras, en guise d’ailes. Et l’art de contourner. Sautez sur le point, remonter la ligne, faire une rotation, et au trois-quarts du tour du trou, sautez volez, battez des pieds, toucher un nouveau point. Avec grâce. Le corps, ce trou normand pour les vers : fuyez tant qu’il est temps. Mais en même temps, un monde sans trou serait un cadavre sans tête. Peau de serpent, sans langage ni raison. Dieu, traduire « certains d’entre eux », traduire « les hommes », ont tous un siège dans le trou, fait de trou, de la matière du trou, invisible pour les uns, confortable pour tous. Ça s’entend, quand on fait varier la fréquence. Ça s’entend, dans tous les trous. Et dehors, vous le savez, dehors la marge n’est jamais loin. Parfois le trou finit par prendre le dessus, vous manger le dedans, le dedans du corps ; est en partie traversé. Vous le constatez. Vous êtes impuissant. Vous avez un trou. Qu’iriez-vous cultiver dedans cette partie creuse ? Des myosotis ? La véritable conquête serait que le rouge-gorge habite votre trou. Si telle est la victoire, vous en seriez absente. Mais l’écho de votre nom sonnerait quand même comme un petit caillou.

02.03.22

20.01.2022

C’est peut-être ça vivre : tenter de préserver une parcelle. Une parcelle de bleu, ou de blanc. Une parcelle de nuages ou de matière. Une parcelle. Mais une parcelle. Enfant, on imagine cette étendue presque infinie, et le seul fait de la voir, ou de l’aimer, suffit. Mais un jour, on se rend compte qu’il est trop tard. À n’y faire attention pas du tout, cette parcelle autrefois sans autre horizon que la ligne du désir, est un morceau de miettes dans vos mains. Et alors, on se rend compte que maintenir ne serait-ce qu’un ilôt de cette parcelle dans le vacarme du monde peut être le but ultime, le principe supérieur, qui conduirait toute l’action d’un quotidien voué à disparaître. Qu’on pourrait se retrouver très vite sans rien. Démuni, dénudé, sans le principe vital qui fait ressort, que les boulangers appellent leur levure. Ah, le monde frappe à notre porte à chaque instant. Et tant sont nombreuses ses perspectives de nous suffire, de nous pénétrer. Derrière ces prospectus, ces images, ces enveloppes, il suffit de les ouvrir, de les déchirer pour entendre le supplice des uns, le hurlement des autres, aime-moi, aide-moi, voire l’irrépudiable désir de prendre votre peau, d’étouffer votre rien comme le soleil qui darde ses rayons sur votre visage. Quelle parcelle de monde vaut le dénuement et le silence ? Quel fou espère quand plus rien n’est. Mais c’est cela, maintenir cette parcelle, cette parcelle de vie faite du haut silence.

28.10.2021

Fantasme – Changer de dimension, moi qui voulais changer le monde. Changer de dimensions. Être plus terre à terre, et considérer les anciennes lubies comme des ballons rouges, dans une ville. Dans une vie où tout est facile. J’ai déplié mes bagages. Les pulls et les affaires. Tout est si simple ici. Je ne cours plus après l’argent, après le temps. Tout est si simple. Certes c’est exigeant, mais les broutilles d’autrefois sont des miettes de pain, sur la table, qu’on dégage d’un coup de manche. Je ne pensais pas que la vie pouvait être si simple, coulait de soi. Même pour les indigents. Et dire que je les jugeais autrefois. Ils sont heureux. J’avais juste pris la vie du mauvais départ. Un bout de manche, un bras de chemise pris dans un rouage. Et moi qui continuais de m’acharner dans cette liberté bloquée. J’en r’irais presque. Les idéologues avec leurs idées, voilà l’indigence ! Non mais, dans quel monde vit-on.

28.10.2021

Dans quelque temps, je m’allongerai dans ce corps et je ne me réveillerai pas. Voici la destination. Il n’y a plus de sujet à se faire, ni d’angoisse ni de mouron. Alors chaque jour, chaque heure : pourquoi nous presser. J’arriverai tôt ou tard et nous n’aurons même pas le loisir de trinquer à cette victoire. Trinquons avant, chaque jour, de tout notre saoul. Et si tant est que le plateau qui porte la coupe soit trop lourd, rendons-nous tout légers, sans nous rendre coupables du poids. Prenons la vie comme elle est, comme elle vient, comme un ciel. Ni l’arbre ni le ciel ne diront rien de l’envol. 

25.09.2021

Il y a un côté presque irréel du monde, un état du monde, que les sens dans toute leur subjectivité de sens, et leur objectivité de transmetteur, nous donnent à voir. Et ce chien qui se met à aboyer, ou cet aboiement qui me fait me figurer ce chien qui se met à aboyer, dans mon dos, sans que je comprenne ces paroles de chien, mais d’ailleurs est-il un chien ?, oui en effet, ce n’est pas un leurre de haut-parleur, mais le chien, n’est-il pas lui aussi un scandale ? Je veux dire, ce monde dois-je l’accepter dans sa chair, dans sa totalité, dans sa manifestation, première ? N’ai-je d’autre choix que cette acceptation —comme l’eau dans la main prend la forme de main —, et conséquemment le louer ? Ou une alternative existerait-elle, un non concomitant, et si oui, laquelle ? La réponse tient elle dans un rire ? dans un sourire ? dans une fissure ? Ou la réponse serait-elle une expression du visage ? Si oui, laquelle ? Car avant d’être monde, monde dans le monde, je suis homme, et à défaut d’avoir une réponse, sans plus aller au delà du monde, je veux dire derrière le mystère, une réponse à hauteur d’homme, pourrait être une moue. Oui, une simple moue. Comme celle d’un spectateur devant le magicien.
Un aboiement derrière mon dos formalise le chien.
Deux mariés prennent la pose.

Av. Winston Churchill, banc du Petit Palais 

22.09.2021

Avec quelle fraîcheur la pensée peut-elle restituer la vie autour d’elle ?
Que me servira-t-il de nommer un chant d’oiseau, une émotion, si l’émotion elle-meme provoque un vague souvenir d’émotion
Si le chant d’oiseau ne reproduit en rien l’émotion de la phrase.
Nous aurions une pâle copie, d’un souvenir de vacance, d’une photographie dont les visages, les attitudes, ne diraient rien à celui à qui on la tend, sinon le regard poli d’un regard entre deux froncements de cils, avant qu’il ne vous la rende.
Ah, mais ah, le chant de la mésange bleue.
Ça y est
Je ressors du monde
À nouveau je suis dans un parc
Le square Henri Cadiou
Je suis assis sur un banc, à la périphérie du monde
Les huit bancs forment un arc de cercle, une demi-lune, que les promeneurs traversent de part en part,
par le passage qui mène de la rue Léon-Maurice Nordmann au boulevard Arago
Je dis les promeneurs
Mais ils se font rares, on les entend venir par la porte qui grince
Je dis les promeneurs, mais ils ont perdu leurs habits d’époque, leur statut contemporain
D’ailleurs certains prennent place sur les bancs libres, comme si eux aussi voulaient assister à la représentation
La mésange bleue, en haut du tilleul, disperse son chant.
Le marronnier laisse le vent emporter ses feuilles, dans un ballet plus lent, tout aussi inéluctable.
Cette place qui représente le point zéro du monde.
Un papillon jaune citron tente ici l’aventure
J’hésite à me lever et dire : savez-vous qu’on est nulle part ?
Nous serions idiots de nous regarder dans le blanc de l’œil à ce propos
Mais un enfant prend le marron et le met dans une vieille main.
Les mésanges se sont réunies, et forment une cathédrale totale par les lignes imbriquées de leur chant
Les feuilles font les vitraux d’une église, dont les ombres marquent le sol.

 

Sans titre

il y avait toujours la croyance l’espoir que quelque chose surviendrait. Les plus téméraires s’agitaient encore. Les autres reproduisaient le même sourire, le même souvenir. C’était toujours une gesticulation spontanée, qui provoquait une étincelle, puis le corps retombait derrière le verre. Les autres avaient le même succès, avec leur sourire, mais force est de constater qu’ils étaient eux aussi à la merci de cet espace étriqué, à travers lequel nulle lumière ne passait. Beaucoup d’entre eux renonçaient, et décidaient de se reproduire ici, de fonder un petit foyer, avant que la mort ne les fasse disparaître. Les autres restaient là, en attendant. En attendant quoi ? Il y avait toujours une espérance secrète. Faire un feu avec ces morceaux de bois. Utiliser ces deux morceaux de bois pour faire de la musique. Gravir les échelons. Mais on allait jamais très haut, et c’était souvent juste pour la photo. Le verre avait une sacrée épaisseur, et par conséquent il rendait le moindre monde peu lisible. Et pourquoi aller si loin. C’était là le grand paradoxe des uns. Et le renoncement des autres. Grand paradoxe pour les uns puisque leur espérance dépassait la circonscription, en même temps ne rêvaient-ils pas de se circonscrire ? La jeunesse est une croissance tout en longueur, mais ensuite il vous faut composer avec le poids des années, le poids de toutes ces branches. Alors allez plus haut allez plus loin n’est pas si aisé, n’est pas si spontané. Déplacer plus de matière vous coûte en énergie. Le monde n’est plus si vaste que ça. Comment les gens font-ils ?Comment les gens font-ils, d’un point de vue mécanique. D’un point de vue strictement physique. Les convictions sont peut-être le bois dur de leur prise de poids et d’espace, en deçà desquelles le sujet pourrait être parfaitement mou de l’intérieur. C’est pourquoi, qui renoncerait à ses convictions ? À sa place chèrement acquise ? Alors vous comprendrez la fixité des positions, même pour le chancre le plus infâme : agile mais parfaitement souple si bien qu’aucune semelle ne puisse l’écraser ; ou bien rustre et parfaitement immobile si bien qu’aucune masse ne pourrait l’altérer. Pourquoi aller voir plus loin ? Plus haut certes, mais plus loin ? Il faut croire que certains sont plus dépourvus de mobilités que d’autres, je veux dire techniquement parlant. Qui viendrait prendre soin d’eux ? Et par conséquent ceux-là qui ne peuvent s’inventer des ailes, ceux-là qui ne peuvent s’inventer un horizon vertical, ceux-là qui ne peuvent défier les lois de la physique et de l’aventure, sont obligés de s’inventer de nouvelles formes, s’ils veulent voir du pays… Santé

28.07.2021

30.03.2021

Ligne C

Ligne C – Journal

Ligne C, bloquée. Retour à la D. Un homme s’est suicidé. Ascenseur bloqué. Ça pue tellement la merde à Châtelet, dans la station, qu’on en vient à vérifier ses chaussettes, des fois que. Ça ressemble à un gros boyau, tacheté de lumière. De l’air, de l’air. Le masque n’y fait rien. L’espérance malgré tout subsiste. Le soleil macère tout ça. Vitre sale. Il n’y aura pas de différence entre l’homme et le fourmilier, entre l’homme et la fourmi. L’humanité ressemble à ce rail rempli de cailloux. L’homme aura raclé le fond de l’assiette, ouvert les entrailles de sa mère. Ici, aucun fil ne vibre. La fête est désormais plus que fumée. Une journée de combustion. Ah, qu’elle fut belle et légère. Ici, rien ne différencie le pylône de l’arbre. La vie semble avoir quitté la vie. Mais il reste l’espérance, blottie haut quelque part. Mais il reste l’espérance. Un homme s’est jeté sur la voie.

07.03.2021

Et voilà Nous petit moi nulle part. Alors qu’il s’agit du banc Du jardin des plantes. Je ne comprends pas ce que le corbeau pense. Je ne saisis pas ce que l’arbre ressent S’il ressent ; par Et les humains qui traversent mon champ de vision à quoi pensent-il ? Comment le saurais-je ? Mais alors avec qui avec quoi communier ? Il y a bien un écart immense entre ce qui m’entoure et ce que je perçois au quotidien. Ou pour être plus logique, et raisonnable, il existe un écart inouï entre ce que je considère être extérieur, et cette révélation immédiate, asymptotique, dans la saisie d’un monde brutal et merveilleux, comme si les yeux étaient plusieurs fois lavés d’un regard perclus. Merde alors ! Mais oui. Et toujours par surprise! L’alerte son intensité vient à la fois dans la saisie du monde et l’intensité d’écart qui le sépare du monde. La difficulté de maintien de l’état réside dans l’intensité de la perception et l’intensité même de l’effort de son maintien qui finit par lâcher l’objet comme un ressort trop tendu qui perdrait ses propriétés de ressort. Merde alors. Mais oui, c’est vrai. Et toujours par surprise ! Il suffit de regarder. Merde alors. C’est toujours le même merveillement. Et, la question serait Quoi Quoi faire de ce monde, neuf, autre, permanent, d’un degré autre. Mais le paon, ou toute chose du merveilleux, ou de la vie, aurait son mot à dire. 

20.11.2020

Le ciel est plus bas. Beaucoup plus bas. Les visages grimaçant ; cela se voit malgré les masques. Les visages se distordent un peu, fébrilement. Pour les moins préparés ? Pour les plus soumis aux variations physiques du milieu ? Ça sent la merde. Nous aurions dû déjà quitter la zone de nuit. Mais elle parait s’allonger. À moins que la perception du temps évolue elle aussi. Pas le choix que de monter dedans. Pas le choix que d’endurer. La lumière qui traverse la rame est un avant-goût du rien. Des enfers. Vitres sales. Épaisseur de traits. Soleil dégorgeant sa lumière sale. Le passé n’est plus qu’un lointain souvenir. Un souvenir mal arrimé dans le temps. Le langage pourrait être ce qui me relie à l’avant, comme une torche éclairant ce qui vient, ce qui se présente. Deux grosses piles là-dedans. Et peut-être que toutes ces statures assises, statues blanches, peuplant la rame que la lumière blanchit davantage, peut être qu’un évènement (une poussière ?) les réveillerait toutes. Les rêves des nuits précédentes, d’autres fois, de la nuit dernière se pressent aux carreaux sales, comme des enfants curieux. Je suis sauvé, me dis-je. Suis-je sauvé ? redis-je, tandis que la rame continue de s’agglomérer de corps, et que la réalité se désagrège à mesure qu’elle avance. Je vérifie ma lampe. Je la secoue. Des voisins s’échangent un filet de bave, et de banalités. Je me concentre sur le détail comme je l’ai appris autrefois. Le ciel n’est pas plus haut. Mais à considérer les reflets qui se songent en lui, l’autre monde m’apparaît, intact. Nous longeons le fleuve, c’est écrit dans la vitre. Et dehors, il reste l’espoir que le néant n’ait pas tout à fait disparu, à le regarder de près, intact lui aussi le long de la ligne blanche qui court près de nous. Le téléphone de ma voisine sonne. Les objets inanimés n’en sont que plus éclatants. Animés, inanimés. Arbres, feuilles, siège, immeubles. Même les sièges de la rame. Tous les sièges. Tous semblent animés d’une petite phrase, singulière, mais ce n’est pas assez audible de là où je suis assis. D’une phrase et d’une posture. Je serre plus mon sac dans mes bras. À présent, le ciel est féérique. Quelqu’un crie. Fort dans une langue que je ne comprends pas. Ici la lumière tente d’agripper le monde, comme une algue son volume de ruisseau. Un mouchoir sale est resté sur le siège devant moi. Le véhicule continue de se rétrécir. Il formerait presque un tube de néon, comme on sait ce qu’ils sont. Le merveilleux perdure dans ces volumes de ciel et de lumière. Les lumières viennent de s’allumer dedans. Il reste une ligne. Ou un point. Selon. Néon.

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