Littérature, écriture

Catégorie : Journal (Page 6 of 11)

28.10.2021

Dans quelque temps, je m’allongerai dans ce corps et je ne me réveillerai pas. Voici la destination. Il n’y a plus de sujet à se faire, ni d’angoisse ni de mouron. Alors chaque jour, chaque heure : pourquoi nous presser. J’arriverai tôt ou tard et nous n’aurons même pas le loisir de trinquer à cette victoire. Trinquons avant, chaque jour, de tout notre saoul. Et si tant est que le plateau qui porte la coupe soit trop lourd, rendons-nous tout légers, sans nous rendre coupables du poids. Prenons la vie comme elle est, comme elle vient, comme un ciel. Ni l’arbre ni le ciel ne diront rien de l’envol. 

25.09.2021

Il y a un côté presque irréel du monde, un état du monde, que les sens dans toute leur subjectivité de sens, et leur objectivité de transmetteur, nous donnent à voir. Et ce chien qui se met à aboyer, ou cet aboiement qui me fait me figurer ce chien qui se met à aboyer, dans mon dos, sans que je comprenne ces paroles de chien, mais d’ailleurs est-il un chien ?, oui en effet, ce n’est pas un leurre de haut-parleur, mais le chien, n’est-il pas lui aussi un scandale ? Je veux dire, ce monde dois-je l’accepter dans sa chair, dans sa totalité, dans sa manifestation, première ? N’ai-je d’autre choix que cette acceptation —comme l’eau dans la main prend la forme de main —, et conséquemment le louer ? Ou une alternative existerait-elle, un non concomitant, et si oui, laquelle ? La réponse tient elle dans un rire ? dans un sourire ? dans une fissure ? Ou la réponse serait-elle une expression du visage ? Si oui, laquelle ? Car avant d’être monde, monde dans le monde, je suis homme, et à défaut d’avoir une réponse, sans plus aller au delà du monde, je veux dire derrière le mystère, une réponse à hauteur d’homme, pourrait être une moue. Oui, une simple moue. Comme celle d’un spectateur devant le magicien.
Un aboiement derrière mon dos formalise le chien.
Deux mariés prennent la pose.

Av. Winston Churchill, banc du Petit Palais 

22.09.2021

Avec quelle fraîcheur la pensée peut-elle restituer la vie autour d’elle ?
Que me servira-t-il de nommer un chant d’oiseau, une émotion, si l’émotion elle-meme provoque un vague souvenir d’émotion
Si le chant d’oiseau ne reproduit en rien l’émotion de la phrase.
Nous aurions une pâle copie, d’un souvenir de vacance, d’une photographie dont les visages, les attitudes, ne diraient rien à celui à qui on la tend, sinon le regard poli d’un regard entre deux froncements de cils, avant qu’il ne vous la rende.
Ah, mais ah, le chant de la mésange bleue.
Ça y est
Je ressors du monde
À nouveau je suis dans un parc
Le square Henri Cadiou
Je suis assis sur un banc, à la périphérie du monde
Les huit bancs forment un arc de cercle, une demi-lune, que les promeneurs traversent de part en part,
par le passage qui mène de la rue Léon-Maurice Nordmann au boulevard Arago
Je dis les promeneurs
Mais ils se font rares, on les entend venir par la porte qui grince
Je dis les promeneurs, mais ils ont perdu leurs habits d’époque, leur statut contemporain
D’ailleurs certains prennent place sur les bancs libres, comme si eux aussi voulaient assister à la représentation
La mésange bleue, en haut du tilleul, disperse son chant.
Le marronnier laisse le vent emporter ses feuilles, dans un ballet plus lent, tout aussi inéluctable.
Cette place qui représente le point zéro du monde.
Un papillon jaune citron tente ici l’aventure
J’hésite à me lever et dire : savez-vous qu’on est nulle part ?
Nous serions idiots de nous regarder dans le blanc de l’œil à ce propos
Mais un enfant prend le marron et le met dans une vieille main.
Les mésanges se sont réunies, et forment une cathédrale totale par les lignes imbriquées de leur chant
Les feuilles font les vitraux d’une église, dont les ombres marquent le sol.

 

Sans titre

il y avait toujours la croyance l’espoir que quelque chose surviendrait. Les plus téméraires s’agitaient encore. Les autres reproduisaient le même sourire, le même souvenir. C’était toujours une gesticulation spontanée, qui provoquait une étincelle, puis le corps retombait derrière le verre. Les autres avaient le même succès, avec leur sourire, mais force est de constater qu’ils étaient eux aussi à la merci de cet espace étriqué, à travers lequel nulle lumière ne passait. Beaucoup d’entre eux renonçaient, et décidaient de se reproduire ici, de fonder un petit foyer, avant que la mort ne les fasse disparaître. Les autres restaient là, en attendant. En attendant quoi ? Il y avait toujours une espérance secrète. Faire un feu avec ces morceaux de bois. Utiliser ces deux morceaux de bois pour faire de la musique. Gravir les échelons. Mais on allait jamais très haut, et c’était souvent juste pour la photo. Le verre avait une sacrée épaisseur, et par conséquent il rendait le moindre monde peu lisible. Et pourquoi aller si loin. C’était là le grand paradoxe des uns. Et le renoncement des autres. Grand paradoxe pour les uns puisque leur espérance dépassait la circonscription, en même temps ne rêvaient-ils pas de se circonscrire ? La jeunesse est une croissance tout en longueur, mais ensuite il vous faut composer avec le poids des années, le poids de toutes ces branches. Alors allez plus haut allez plus loin n’est pas si aisé, n’est pas si spontané. Déplacer plus de matière vous coûte en énergie. Le monde n’est plus si vaste que ça. Comment les gens font-ils ?Comment les gens font-ils, d’un point de vue mécanique. D’un point de vue strictement physique. Les convictions sont peut-être le bois dur de leur prise de poids et d’espace, en deçà desquelles le sujet pourrait être parfaitement mou de l’intérieur. C’est pourquoi, qui renoncerait à ses convictions ? À sa place chèrement acquise ? Alors vous comprendrez la fixité des positions, même pour le chancre le plus infâme : agile mais parfaitement souple si bien qu’aucune semelle ne puisse l’écraser ; ou bien rustre et parfaitement immobile si bien qu’aucune masse ne pourrait l’altérer. Pourquoi aller voir plus loin ? Plus haut certes, mais plus loin ? Il faut croire que certains sont plus dépourvus de mobilités que d’autres, je veux dire techniquement parlant. Qui viendrait prendre soin d’eux ? Et par conséquent ceux-là qui ne peuvent s’inventer des ailes, ceux-là qui ne peuvent s’inventer un horizon vertical, ceux-là qui ne peuvent défier les lois de la physique et de l’aventure, sont obligés de s’inventer de nouvelles formes, s’ils veulent voir du pays… Santé

28.07.2021

30.03.2021

Ligne C

Ligne C – Journal

Ligne C, bloquée. Retour à la D. Un homme s’est suicidé. Ascenseur bloqué. Ça pue tellement la merde à Châtelet, dans la station, qu’on en vient à vérifier ses chaussettes, des fois que. Ça ressemble à un gros boyau, tacheté de lumière. De l’air, de l’air. Le masque n’y fait rien. L’espérance malgré tout subsiste. Le soleil macère tout ça. Vitre sale. Il n’y aura pas de différence entre l’homme et le fourmilier, entre l’homme et la fourmi. L’humanité ressemble à ce rail rempli de cailloux. L’homme aura raclé le fond de l’assiette, ouvert les entrailles de sa mère. Ici, aucun fil ne vibre. La fête est désormais plus que fumée. Une journée de combustion. Ah, qu’elle fut belle et légère. Ici, rien ne différencie le pylône de l’arbre. La vie semble avoir quitté la vie. Mais il reste l’espérance, blottie haut quelque part. Mais il reste l’espérance. Un homme s’est jeté sur la voie.

07.03.2021

Et voilà Nous petit moi nulle part. Alors qu’il s’agit du banc Du jardin des plantes. Je ne comprends pas ce que le corbeau pense. Je ne saisis pas ce que l’arbre ressent S’il ressent ; par Et les humains qui traversent mon champ de vision à quoi pensent-il ? Comment le saurais-je ? Mais alors avec qui avec quoi communier ? Il y a bien un écart immense entre ce qui m’entoure et ce que je perçois au quotidien. Ou pour être plus logique, et raisonnable, il existe un écart inouï entre ce que je considère être extérieur, et cette révélation immédiate, asymptotique, dans la saisie d’un monde brutal et merveilleux, comme si les yeux étaient plusieurs fois lavés d’un regard perclus. Merde alors ! Mais oui. Et toujours par surprise! L’alerte son intensité vient à la fois dans la saisie du monde et l’intensité d’écart qui le sépare du monde. La difficulté de maintien de l’état réside dans l’intensité de la perception et l’intensité même de l’effort de son maintien qui finit par lâcher l’objet comme un ressort trop tendu qui perdrait ses propriétés de ressort. Merde alors. Mais oui, c’est vrai. Et toujours par surprise ! Il suffit de regarder. Merde alors. C’est toujours le même merveillement. Et, la question serait Quoi Quoi faire de ce monde, neuf, autre, permanent, d’un degré autre. Mais le paon, ou toute chose du merveilleux, ou de la vie, aurait son mot à dire. 

20.11.2020

Le ciel est plus bas. Beaucoup plus bas. Les visages grimaçant ; cela se voit malgré les masques. Les visages se distordent un peu, fébrilement. Pour les moins préparés ? Pour les plus soumis aux variations physiques du milieu ? Ça sent la merde. Nous aurions dû déjà quitter la zone de nuit. Mais elle parait s’allonger. À moins que la perception du temps évolue elle aussi. Pas le choix que de monter dedans. Pas le choix que d’endurer. La lumière qui traverse la rame est un avant-goût du rien. Des enfers. Vitres sales. Épaisseur de traits. Soleil dégorgeant sa lumière sale. Le passé n’est plus qu’un lointain souvenir. Un souvenir mal arrimé dans le temps. Le langage pourrait être ce qui me relie à l’avant, comme une torche éclairant ce qui vient, ce qui se présente. Deux grosses piles là-dedans. Et peut-être que toutes ces statures assises, statues blanches, peuplant la rame que la lumière blanchit davantage, peut être qu’un évènement (une poussière ?) les réveillerait toutes. Les rêves des nuits précédentes, d’autres fois, de la nuit dernière se pressent aux carreaux sales, comme des enfants curieux. Je suis sauvé, me dis-je. Suis-je sauvé ? redis-je, tandis que la rame continue de s’agglomérer de corps, et que la réalité se désagrège à mesure qu’elle avance. Je vérifie ma lampe. Je la secoue. Des voisins s’échangent un filet de bave, et de banalités. Je me concentre sur le détail comme je l’ai appris autrefois. Le ciel n’est pas plus haut. Mais à considérer les reflets qui se songent en lui, l’autre monde m’apparaît, intact. Nous longeons le fleuve, c’est écrit dans la vitre. Et dehors, il reste l’espoir que le néant n’ait pas tout à fait disparu, à le regarder de près, intact lui aussi le long de la ligne blanche qui court près de nous. Le téléphone de ma voisine sonne. Les objets inanimés n’en sont que plus éclatants. Animés, inanimés. Arbres, feuilles, siège, immeubles. Même les sièges de la rame. Tous les sièges. Tous semblent animés d’une petite phrase, singulière, mais ce n’est pas assez audible de là où je suis assis. D’une phrase et d’une posture. Je serre plus mon sac dans mes bras. À présent, le ciel est féérique. Quelqu’un crie. Fort dans une langue que je ne comprends pas. Ici la lumière tente d’agripper le monde, comme une algue son volume de ruisseau. Un mouchoir sale est resté sur le siège devant moi. Le véhicule continue de se rétrécir. Il formerait presque un tube de néon, comme on sait ce qu’ils sont. Le merveilleux perdure dans ces volumes de ciel et de lumière. Les lumières viennent de s’allumer dedans. Il reste une ligne. Ou un point. Selon. Néon.

26.10.2020

Habiter. Habiter autrement l’espace. Habiter autrement les lieux que nous traversons tous les jours. Les rendre illisibles. Comme on pose un bouquet de fleurs relâché sur une table. Les fleurs finissent par disparaître, avec la table. Accepter de rendre tous ces lieux illisibles, sauf les formes primaires : le rectangle d’un lit, le rond d’un verre. Cet élan nourrit des souvenirs : le balai d’un enfant. Accepter d’emprunter ces formes nouvelles — même si elles rendent un certain vertige. Sombrer dans le sommeil serait un piège et ne rien noter serait l’évidence même, comme un cerf-volant qui passe sous les yeux avant de disparaître. Oui, se laisser traverser par ces formes nouvelles. Accepter leur dualité-contexte. Accepter de ne rien céder au chantage serait cent jours sans invariant. Faire le tour d’un rêve oublié. Accepter la relance tardive, et saisir l’eau où la pensée s’instruit. Promesse de fontaines.  

 

09.08.2020

Ina —
Les nuages eux-mêmes ne bougent plus 
Ina —
Les corps sont des masses qui déplacent l’air chaud 
Ina —
Un, deux, trois corps 
Ina —
Les arbres pas ceux dont les feuilles ont péri 
Ina —
tous les arbres sont en alerte 
Ina —
Les rues sont vides 
Ina —
La corneille tire le bec
Ina —
Les volets sont clos. 

 

16.02.2020

Que sommes-nous derrière ces couches de poussière ? Quand tu me poses la question que tu ne m’as pas posée. Quand je réponds à la question, restée suspendue sur le coin de ton œil. Que suis-je ? derrière ces feuillets, ces titres, ces croûtes. Ces croûtes advenues par le trop plein d’absence. Je suis l’écorce ; que la main caresse. Je suis le paysage sans cesse reconnu par le pouvoir des mots, de la diction. Je suis l’étendue de la pensée, faite de paysages et de distances. Je suis ce doute qui oublia qu’il était doute. Je suis cette cire devenue froide. Pourtant, je suis cet homme que ta présence révèle – au-delà des titres, des futurs, des directions. Un homme qui demain encore oubliera qu’il t’a rencontré. Un être que ta présence réveille. Alors, pour répondre à la question que tu ne m’as pas posée, je suis celui qui t’a rencontré dans son sommeil. Je suis peut-être cette flamme. Je suis peut-être cette lumière derrière ces feuillets, ces titres, ces poèmes.

« Older posts Newer posts »

© 2024 Raphaël Dormoy

Theme by Anders NorenUp ↑

%d blogueurs aiment cette page :