Défaire. Défaire le paysage du matin. Mais garder celui d’un matin.
Du train. D’un train.
Paysage maintes fois répété. Comme un comédien qui saurait son rôle par les seuls habits qu’il porte au point de l’oublier, et de dire : Je suis le capitaine Ad hoc.
Défaire le paysage du matin. Mais garder celui d’un autre matin, presque présent.
Presque.
Catégorie : Journal (Page 4 of 12)
La maladie vous écrase à la surface des mots, vous presse, vous oppresse. Vous vous retenez de tousser. Un nénuphar dans un bois tassé pourrait-il faire le pari d’un rai de soleil (s’il avait une conscience?) ; mais un brin de fleur au milieu d’une poudre calcinée, à quoi rêverait-il ? D’eau, serrant sur son cœur son souvenir en forme de goutte. Est-ce ainsi au moment du départ ? Chérir la vie et remercier ? Une cave ne peut servir de séjour à moins qu’on soit rat ou mite. Mais parfois il arrive que le cœur y ressemble. Alors quelle espérance former ? Assis au fond du RER, sale parmi soi (canettes, crachat) il suffit de se rappeler une goutte, de la regarder, n’importe laquelle des gouttes tremblant sur la vitre, et peut-être un regard, une personne, vibrant comme elle pour se rappeler ; se rappeler quoi ? Voilà bien une chose difficile à énoncer, à justifier comme si les deux mains arrachaient au récit la tête noire d’un monstre marin sorti des eaux d’encre, avant de la laisser repartir. Se rappeler quoi ? Il restera, en plus de la calme éternité, un rai de lumière, pour plus tard, plus tard. Et de se dire en suspend, quelle note jouera sa corde.
Ah, ça y est j’ouvre les yeux. Je me retrouve à nouveau là. Un simple moment d’inattention et je retrouve les lieux, la scène ce par quoi tout commence. Si je regarde le reflet dans la vitre une nostalgie de l’ancien monde renaît. Mais restons là. Dans le train à présent que j’y suis. Que j’y suis pour de bon. Ne nous laissons pas distraire par les atavismes qui font que le verre sur la table qui roule tombe. Et se casse. Restons là un instant. Un instant encore. Mais je l’ai perdu, déjà perdu. Le reflet est le reflet de son image et l’image son reflet. C’est cuit . C’est mort. Ah non pas encore. Ça revit ; j’y suis. Malgré. Ah non ça y est. Le reflet est l’image. Merde alors je demanderais volontiers de l’aide aux autres passagers qu’ils me retiennent, me maintiennent dans les lieux. Ça y est, j’y reviens. Attrapez-moi, attrapez-moi. Gardez-moi ici. Avec vous. Maintenez-moi dans l’étrangeté de ce drôle d’endroit. Dans l’étrangeté du monde ; qui rejoint, à l’horizon du point, celle des goûts d’une époque. A-t-on idée d’inventer des sièges avec des accoudoirs, dans un tissu rayé avec cette drôle de chose lisse qu’on nomme appuie-tête. Mais peu importe car là n’est pas la question. La question est celle, est celle : l’évidence même de l’étrangeté. Je me regarde discrètement dans la vitre. Je me regarde du coin de l’oeil. Ah je me fais rire franchement. Ah les amis restons ici encore un instant un instant un tout petit instant. Ah ah. Chaque humain voyage avec ses habitudes : son téléphone, ses feuilles à corriger, son petit chat à caresser, une autre a les yeux trop emplis de passé. Ah si je voyais à cet instant celui qui serait moi, faire des ronds avec l’index sur le tissu du siège, je le comprendrais lui aussi avec son habitude. Je le comprendrais comme celui qui ferait ce geste comme pour fixer le souvenir d’un ricochet par celui d’une cerne. Tournoyer l’index dans un sens en regardant le reflet de l’index tournoyer dans l’autre sens. Ah comme cet endroit est extraordinaire. Et que ces mots restent, qu’ils soient la vitre du TER par laquelle je puisse voir encore, tantôt le reflet en son dedans.
Monde contraint, les murs se sont refermés. Mais j’ai ma chambre, dans laquelle tient tout. Sauf l’espérance. L’espérance est un oiseau – volage allais-je dire, et la fenêtre est toujours ouverte ici, et ma chambre est toujours prête à l’accueillir. Je n’écris plus depuis de nombreux mois. Le monde s’est refermé et j’ai ma chambre. Bien sûr cette chambre pourrait disparaître. Il suffit d’un accident, minime. Comme glisser, pour que le mur se fissure. Mais l’espérance nous pointerait, derrière la fissure, la mer. Et puis force est de constater que tout va bien, que la santé est bonne, que je ne manque de rien ; même si l’avenir n’est pas acquis, ne l’est jamais. Ceci, cette chambre, doit être mis quelque part, au fond de mon cœur. Chaque jour que je sors, que chacune de mes adresses se souvienne de ma chance. Car cette chambre contient beaucoup. Tout le monde m’attend ici. Et si comme cela m’arrive depuis quelques mois, même si j’oublie l’espérance, il faudrait que j’aie au fond de mon cœur son souvenir ou sa part vivante. Mais comment faire ? Je retrouve parfois quelques poèmes. Mais comment se souvenir du feu qui n’éclaire pas ? Comment se souvenir de la flamme qui ne crépite pas ? J’ai cette chance, j’ai cette chambre. C’est un là au fond de soi. C’est peut-être avec un peu d’entraînement qu’elle pourrait m’accompagner au quotidien, à mes rendez-vous, et lors de mes rendez-vous manqués.
Effondrement du corps. Effondrement du texte. Que faire d’une telle circonvolution ? Comment agir ? comment créer ? Tout, ici ou bas, mange le sens, le dévore. Quelle part alors garder ? Quelle part alors garder au fond de soi ? Je me souviens d’une flamme, d’une petite lumière sans âge m’apparait. Le simple fait de la savoir me rassure, m’assure. La pensée hésite entre deux verbes, comme si la flamme allait de l’un vers l’autre, d’un bout à l’autre de la phrase ; d’une phrase. Ici le bruit est devenu tel qu’il emplit tout l’espace silencieux de la pièce. Je ne sais que faire des mots. Je les regarde comme l’enfant qui regarde dans ses doigts une brique de légo. À chaque fois que je lève les yeux, la nuit est un peu plus tombée. C’est un bleu nuit à présent, dans la vitre, dans lequel je reçois mon reflet que la pièce éclaire. Quelle épaisseur de trait faudrait-il ? Quelle épaisseur de mot faudrait-il inventer ? Il resterait une attitude peut-être, mais elle s’oublierait vite. Faire foyer, faire arbre, serait la seule promesse qui tienne. Mais cette promesse serait à part soi.
Y a t’il quelque chose qui
Me rappelle à ma part de mystère ?
Tous les signes au contraire
Me ramènent ici, sur les marches d’escalator
Dans les couloirs, le hall de la gare
Tout me ramène ici : dans un signe travesti.
Qui s’il capte votre attention
Est pour vous prendre ce supplément d’âme.
Dans le hall, l’environnement vous souffle vos flammes
Ou elles s’éteignent par les trop forts courants d’air.
Quelle part de soi offrir ?
J’ai de la chance. Je vais pouvoir écrire, malgré tout. Par exemple, aujourd’hui j’étais au cimetière, Il y avait beaucoup de passants, un esprit comique aurait dit que les hommes étaient sortis de terre, de leur tombeau, qu’ils profitaient de la lumière de la vie. Il y avait aussi le merle, harmonieux plus qu’un autre oiseau, dont les vocalises nous amenaient loin des jours passés. C’est peut être cette grosse lune hier soir, surplombant le ciel, qui attire le printemps et tous les vivants, par le contour épais qu’elle laissa dans le ciel. Oui j’ai cette chance de pouvoir écrire, c’est à dire d’avoir un espace où consigner des phrases, des mots issus du présent comme on ramasse des bouts de bois avant de les poser à l’abri quelque part, avant la tomber du jour.
J’ai mis
J’ai mis trois francs dans la manivelle
Pour faire sortir un poème
J’ai mis, je me suis souvent tu
Il faut se taire
Mais il suffit d’une goutte de quatre pour que
Pour qu’une parole naisse
frêle tendre
On sait qu’elle portera ses fruits tard
En attendant j’ai mis
J’ai mis trois francs
On entend le petit air.
Une écriture qui dévore l’espace, en fait une pâte,
malléable
Une écriture qui transforme l’espace en soufflet
Une écriture dont la portée tient de la farce
Une écriture qui ne retranche rien, ni au silence ni au mystère
Mais révèle d’oiseaux d’obscurité.
Une écriture qui me resitue ici
Dans le monde des morts dont les vivants sont partie.
J’écris depuis ma chambre. Je suis dans la gare. Mais j’écris depuis ma chambre. La gare Montparnasse est accidentée. Les trains circulent mal. Mais j’écris depuis ma chambre. Reconnaitre ce point, cette localité, est un impérieux. Car c’est avec étonnement que la localité se manifeste. Pourrais-je être autre part tout autant. Mais je reconnais un lieu autre, parfaitement localisé, d’où je contemple les passants, la gare, les passants sous le panneau des horaires. Diantre, quelle richesse. Le second impératif est justement l’acte d’écrire. J’y suis. Y a plus qu’à. La chambre pourrait être ailleurs, ou la pièce pourrait être autre chose que l’acte d’écrire. Mais c’est ainsi. Diantre quelle chance, tant de détails tous ces détails.
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