Littérature, écriture

Catégorie : Journal (Page 3 of 12)

02.05.2024

Je flotte dans cet espace et je comprends malgré moi la conversation de mes voisins. Il pleut depuis ce matin, depuis hier, depuis toujours dirait-on tant il pleut. Il pleut. J’entends la conversation de mes voisins et je la comprends. Je comprends les phrases. D’un point de vue chirurgical, je comprends leurs phrases. La buée s’accumule sur les vitres du rer. Et le bandeau d’information défile. Je comprends les phrases de mes voisins. Mais je comprends l’espace autre qui s’ouvre aussi. Je comprends l’ordre au-dessus ; que chaque phrase met du sens à l’histoire, au monde au lieu, à chacun. Mais ce n’est pas ça qui est beau à voir. Ce n’est pas ça qui est beau à sentir. C’est l’ordre au-dessus, l’ordre au-dessus qui coule comme le ruisseau coule. C’est ce néant qui est si délicat à sentir, à humer. C’est beau à sentir, à vivre. À ressentir, à respirer. Et mes petits mots qui font des cailloux là-dedans. Et mes phrases qui font comme des algues accrochées à l’instant. C’est beau à sentir, avant de replonger comme la grenouille dans son reflet.

18.03.2024

Les signes ne disent rien. Et pourtant ils se montrent.
Deux trois suffisent pour voir un nuage
Et dans le nuage quelques perturbations à venir.
Comme cette femme qui dans le métro renverse devant moi au moment de se lever le contenu de son sac, et que les capsules de café se mettent à rouler sous nos pieds comme un jet de cauris.
Qu’annonce l’hyménoptère sur la vitre du train ? Rien, lui peut-être.
Malgré tout, il y a ici dans cette rame presque vide un horizon sensible d’océan par lequel je respire
Puis, une femme sur le côté, puis une femme de dos.
La femme est un mystère délicat qui vaut bien quelques nuages.

 

12.03.2024

Ce matin, en allant au travail, enfin de mon bureau au bâtiment principal de la mairie, il y avait dans la rue qui monte, que j’étais en train de descendre, un magnolia en fleurs. Ce magnolia, posté en limite de propriété, était une variété peu commune à mes yeux: d’un galbe dense, comme une main ouverte, en partie ouverte vers le ciel, avec des fleurs plus nombreuses sur ses branches, dont la forme épousait celle de cette main tendue vers le ciel, et d’une couleur tirant sur un violet plus dense que le violet. Et, près de lui, non loin de lui, des gouttes, d’eau, accrochées à une branche, à des branches, d’un cerisier, qui lui n’avait à cet instant que ces gouttes, d’eau, suspendues à ses branches pour rivaliser. Je me suis dit que j’avais de la chance de passer demain encore dans cette rue, pour être surpris de ce qui allait arriver.

16.03.2024

Que reste-t-il après le poète ?
Il reste un magnolia étoilé fleuri 
Une paire de jonquilles quelques minutes après,
La vinca minor rampante, discrète en pied de pavés
Le chant métallique de la mésange par delà les branches du bouleau
Et l’insatiable merle à la pointe, aux pointes du jour.
Il reste l’homme ;
Et celui que le regard tend vers ces choses
Malgré.

 

10.03.2024

Ne rien faire. Je pense qu’il ne faut rien faire. Je regarderai les choses pousser, se faire. Mais cela, est-ce faire ? Je ne peux rien faire si je fais quelque chose. Je ne ferai donc rien. Je pense qu’il ne faut rien faire. Cela est bon, cela est bon pour soi pour les autres. Et pour la plante ? Que fait la plante dehors en hiver ? Que fait-elle au printemps ? qu’ajouter un peu de vie à sa propre espérance. À quoi servent ses fleurs ? Jouit-elle de les réaliser ? Comprend-elle ce qu’elle fait ? Ressent-elle ? Et nous que ressentons-nous dans notre rien faire ?

10.03.2024

J’ai perdu la magie, 
J’ai perdu le merveilleux. 
Je les voix quand même
Non en souvenir,
Ni petit, ni trop loin, 
Je les vois quand même : 
Ils transpirent de partout.
Pouik pouik la texture ; 
Le mystère est grand. 
Cycle de mort cycle de vie,
C’est la rame numéro 6. 
Sourire un peu quand même 
D’un rire aimable. 

07.03.2024

Nouveau jour, nouveau jour, dirait le refrain de la chanson oubliée.
Je n’ose regarder. Mais si : J’y suis !
Je savoure le temps rétréci, cette seconde,
Comme le coléoptère sa goutte d’eau.
Ciel bleu à portée de doigts,
Ciel bleu à portée de lèvres.
Alors peut-être – faudra-t-il assembler chaque seconde, chaque morceau chaque récit, d’un instant l’autre, d’un instant l’autre, comme une phrase qui coud.
Et s’en vêtir.
Nouveau jour, nouveau jour, dit la chanson.

04.03.2024

Perdre la gare.
Se concentrer sur le rayon du matin. 
Se concentrer sur le matin la lumière. 
Se concentrer sur la lumière que le wagon du rer tranche avec sa rime crassante sa voix ses voies puis son signal sonore et la décompression des suspensions et son moteur qui emporte les passagers, avant que la lumière ne revienne – plus éclatante. 
Se concentrer sur la lumière, malgré le bruyant ballet des semelles dans l’escalier, en rythme comme on claque des mains, la toux grasse du vieil homme, le départ d’un autre train, et les mouvements de tourniquets au loin.
Et l’appel dans le téléphone du vieil homme à la toux grasse.
Se concentrer sur la lumière. 
Accepter tout ce cirque et le considérer comme les mauvais motifs d’une mauvaise toile, mais se concentrer plutôt sur l’atelier. Sur l’atelier où la toile réside.
Et voir que chaque chose ici malgré l’obscurité est à sa place.  
 

03.03.2024

Souvent je repense à ce poème que je n’ai pas écrit qui gît quelque part dans une mémoire intacte mais qu’aucun mot ne réussissait à retrouver. Peut-être était-ce le poème qui creusait un peu plus l’espace de son foyer. Je repense à ce poème quand je suis comme à cet instant longeant les toits dans le métro aérien et que je regarde sur mon coté gauche. Il est comme un rayon de soleil qui se réfléchit chaque fois que l’inclinaison le permet sur le verre sur la fleur ou dans le bosquet. Mais dans mon poème ce rayon c’était la mémoire, qu’elle se reconstruirait plutôt qu’aucune autre cité.

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