Littérature, écriture

Catégorie : Journal (Page 11 of 12)

24.04.2018

Les mots comme les ponts sont notre patrimoine. Parfois les mots s’effondrent. Parfois on les colmate. Les mots comme les ponts sont notre patrimoine. Sinon nous ne serions pas là. Nous serions dans l’espace non su insu, nous serions dans l’espace de bête. Mais l’eau finalement a la même saveur pour la bête. L’eau est son patrimoine. L’eau, la bête et le pont sont patrimoine l’un de l’autre. C’est la raison pour laquelle tu ne ne dois pas douter. Tu ne dois pas douter de ta réalité matérielle, corporelle. Il y a toujours un passé plus haut que le tien.

20.04.2018

Rien ne troublerait l’épaisse mémoire du lieu ; ni la carpe, ni les tanches, ni la mémoire du lieu. Je m’assois. Les sauts du poisson, des poissons, leur tête à queue, rafraîchissent la mémoire ; la mémoire des nuages, des platanes, et des couleurs parsemées sur la surface de l’eau ; à moins que ce soit la fontaine qui parsème la mémoire de ces couleurs naissantes, comme son eau descend les marches des bassins qui épousent la réalité concentrique de la pensée. Les touristes continuent de prendre les mêmes photographies d’eux-mêmes, et les langues étrangères ont succédé à celle de celles et ceux qui s’assoient et qui parlent du temps. Il y a toujours sur l’eau les salissures, mais je ne vois plus le poisson mort flotter à côté du reflet du vase. Un enfant se penche. J’aimerais pouvoir l’aider à faire sortir les poissons de l’eau comme l’enfant les appelle de ses voeux. Je ne sais qui je suis et la question serait un non-sens, mais je reconnais le lieu comme une partie de moi-même, je reconnais cette surface ; en elle je reconnais son épaisseur qui n’est pas hauteur et en elle je reconnais cette manière qu’a la vie de faire varier la vie ; la géométrie des arbres, de la lumière, du coeur. À cet instant un homme à côté de moi vient d’offrir une bague à l’élue de son coeur. Les étoiles sont des poissons morts, et la tanche fait varier la lumière. 

19.04.2018

Quand il fallut installer la dictature, on supprima les bancs. Ensuite, on supprima les silences. Il fallait que chacun se rende d’un point à l’autre. Sans discontinuer. L’esprit devait toujours être occupé, à se remplir, ou à transporter quelque chose, tels que des mets. Sans néanmoins que cet objet pèse car l’objet est le regard lui-même. Le regard vide ne pouvait pas être toléré à moins qu’il s’agisse d’un regard rempli de vide où le vide occupe la place du regard. Ceux-là on les tolère, ils ne sont pas visibles. On ne les voit pas. Comme les arbres. Ce sont des arbres qui marchent, dirait-on. Je suis entré dans un jardin, je me suis assis.

26.03.2018

C’est un non lieu. C’est un grand lit. C’est un lit d’éveil qui se joue en pleine rue. Bien sûr, l’existence feutrée des murs empêchait la survenue du lieu ; trop loin, beaucoup trop contraint. Mais à présent que je m’y tiens, j’ai tout loisir d’y sombrer. C’est un lieu exotique, fait de sons d’oiseaux inconnus. Et les bruits autrefois sus, comme ces bruits de moteurs, de motos, de mato, se noient dans la végétation luxuriante. Cependant, plus rien de ce qui faisait mon propre ancrage n’existe vraiment. On dirait le même homme, trente ans après. Et si l’architecture des lieux n’a pas vraiment changé, seulement augmentée d’étrangeté, tout ce qui faisait le bâti du sujet s’est effondré. Il n’en reste rien. Rien de ce qui fait sens au présent. Mes proches ont disparu. J’ai l’impression de me réveiller d’un mauvais rêve. Que ce présent existe réellement. Que tout ce qui constituait la chair de ma vie a disparu. Me verrais-je passer dans la rue, me donnerait-on des nouvelles de moi au passé, me rassureraient beaucoup plus que l’acceptation de la situation présente. Je suis seul. Est-ce la disparition de ma mère qui m’affecte à ce point ? Est-ce la naissance d’une liberté? Que ferais-je de cet espace et de ce temps neufs ? On en rigolerait presque, non de ce présent, puisque je me dois d’accepter l’inacceptable, mais de ce passé en lequel je fondais quelque espoir d’avenir. Si un ami venait à se poser à côté de moi, le reconnaitrais-je pour la première fois ? dans cet environnement neuf que de toute façon je n’ai jamais su nommer avant dans sa chair, dans ses formes, dans ses mouvements les plus primitifs. Sont-ce les oiseaux qui autour de moi font varier, à travers leurs trilles, le champ de ma pensée ?  Trois moineaux passent et repassent. Je pensais qu’ils avaient disparu. 

26.03.2018

Je rêve d’écrire une phrase. Souvent les lettres tombent. Le colorant s’est dilué. Sinon l’idée se perd. Lorsque la phrase est trop longue, lorsqu’elle défie les lois de ma gravité, tout s’effondre. Il reste le début, comme les ronces coupées qui font les bords du chemin. J’ai aussi tenté d’autres formes, mais la phrase est limitée pour imiter le vivant. Une autre fois j’ai fait un feu d’artifices ; une autre fois, un foyer. Je reçus le silence. Il fut un temps où je fus gérant d’une affaire dans une foire. Nous créâmes des miroirs, des miroirs déformants, qui au delà du divertissement ou de l’attraction, faisaient réfléchir sinon traverser. Oh rien de magique, ni de mystique. Il s’agit d’illusions comme ces lettres que l’équarrisseur désosse du langage, de leur chair, pour les montrer crues, au-delà du soutenable. Evidemment, personne ne s’amuse à se faire peur, ça suffit comme ça avec toutes les horreurs du monde. J’aurais rêvé d’écrire une phrase ; finalement, il reste quelque chose d’une pensée, d’un vieux peu ou d’un voeu pieu. Des graines ont été plantées. Le monde est habitué à ces dimensions qui échappent à l’homme. Quelqu’un m’a dit que le poème s’écrivait de lui même. Et que la vie est si capricieuse qu’il fallait beaucoup d’amour, ou d’espérance, pour le voir germer.

13.07.2017

La vie a quelque chose de silencieux et de profondément inquiétant. Autrefois, j’aimais me faire peur. Mais maintenant que la mémoire du passé a disparu, maintenant que cette mémoire n’est plus que souvenir, qu’il ne reste rien, plus rien que quatre meubles, la vie reprend ses droits, lentement, doucement. Mais j’ai vu, et je vois encore, ce lieu terrible : je ne veux pas le nommer gouffre, puisqu’il m’entoure. Entre ces murs, ma mémoire n’est plus qu’une toile sans attaches. L’angoisse d’une solitude où mémoire, histoire, altérité, où tout aurait disparu, tandis que le corps bascule et roule. Autour de moi, toutes mes figures tutélaires qui furent mon refuge s’éloignent aussi. Je suis seul. Je suis seul et je suis celui qui occupe le centre d’une figure absente. Le centre d’une figure sans bord. Le centre de rien. Je suis peut-être à l’extrême du monde, là où les lois de l’attraction cessent, là où le silence reprend sa forme. Mon besoin de l’autre est total. Mais quel autre ? L’humanité fourmille de nous-mêmes partout. L’habitude d’un autre permet-elle de rompre avec le vertige sacré. J’aspire au long silence d’études et de travail. Le bourdonnement de la mouche n’a pas changé.

01.01.2017

Trois corneilles, telles les trois Grâces, se disputent la flaque. Il y a une saignée dans la rigole. Par terre, les feuilles sont pourries, malades, rabougries. Et le sapin, laissé sur son pic, à côté du platane enraciné dans le béton ; est-ce pour le consoler ? Ce dernier le peut-il ? L’escalator amène son bruit en surface. On vide les bouteilles dans les containers. On me crache une fumée de cigarette dans la gueule. Et, c’est à Paris, des flaques de vomi sur le boulevard Général Leclerc sont nombreuses pour ne pas être vues : le trop-plein, me dis-je, le trop-plein, se vider bien, avant d’arriver. L’espérance roule dans les mégots, partout par terre. On vend des hyacinthes, 3 euros pièce. Mais après c’est moins cher. Sagement assis dans les voitures. Sagement assis dans le langage. Ça y est ! la nouvelle année démarre. Le désarroi dans les yeux, les phares de l’autre, les warnings, les escalators font jaillir les blouses, les chuchotements, les sourires, la vie. La ville s’ouvre à nouveau. Je n’ai pas de gants. Je me réchauffe les mains dans les bougies de l’église. Puis je mets une bougie pour les miens. Je pense au Messie. Deux conditions, l’une inclusive l’autre exclusive, alors que le miracle était possible. Puis je quitte ma prière, et je vais regarder la crèche. Il y a la paille, les feuilles mortes, un âne, un bœuf, l’eau qui court dans la rigole, et un aigle qui veille. L’aigle est peint. Il y a les arbres aussi. Le Subway vient d’ouvrir. Les pigeons tentent l’aventure du mégot sur le sol, des fois que, mais non. L’onglerie clignote. Un estropié marche en invectivant le vide. J’ai le cul qui gratte. Vivement lundi que le boulot reprenne, avec son confort, ses joies, ses espérances. Vivement demain. Ça permettra de mieux savourer l’instant, comme le dit la publicité de Coca-Cola sur le mur. Les pigeons se sont rassemblés autour du manger. Dans le ciel il y a toujours les décorations de Noël. Ce sont des jeux d’étoiles filantes. Elles ne sont pas allumées. Le jour n’est pas encore éteint.

25.11.2016

Je resterai dans l’exploration. J’ai pour cela besoin du temps. Le temps dorénavant ne fait plus défaut. Certes il peut s’arrêter. Mais comment ferait-il défaut ? Mon quotidien est réglé de façon à régler le quotidien. Cela fait des guirlandes si je mets bout à bout l’injonction. Je souhaiterais faire autrement mais ce faire autrement me dérange. Il faudrait que je résiste à la tentation de faire autrement. Sans quoi je vais me retrouver avec des pelotes de temps partout. Partout. Je n’ai pas d’autre souhait, je n’ai pas d’autre vœu que d’avoir un quotidien stable, réglé, un vrai quotidien. Cela me demande une vraie patience. Je ne viens pas facilement à bout des injonctions. Elles sont comme de la ferraille entre mes doigts. Chacune d’elles me parait comme une branche qu’il faut tailler. Mais comment m’y prendre ? Comment tailler précisément ? Comment tailler la branche au-delà de sa… Le quotidien m’est d’une légèreté favorable. Je n’ai plus à penser ce qui advient. Ce qui advient. Ce qui est advient est. C’est la grand force. Il y a vraiment toutes les fabrications du possible.       

25.03.2016

Aujourd’hui, je suis sorti. J’ai la permission. Il fait beau temps. C’est calme. Je n’ai rien d’autre à faire que de sortir. Ça permet de dégourdir les jambes, de découvrir mes corps. Evidemment, il ne faut pas se perdre. Donc je vais d’un point vers l’autre. Je vais ralentir d’ailleurs. C’est bien d’avoir un but. Les regards ne sont pas forcément accessibles, mais je ne daigne jamais m’y essayer ! C’est comme le pigeon ; dès qu’on approche, il s’envole. Pourquoi nous oblige-t-on à supporter tout ce bruit ? Ne me dites pas que je fais du bruit. Je n’ai rien demandé. Peut-être faudrait-il bâillonner les mannequins, et faire meugler la lumière. Les personnes que je rencontre me parlent de leur corps. Savent-elles qu’elles me désignent leurs doigts ? Tantôt le second, tantôt le troisième. Avec trois doigts, tout est dit. Le cinquième se gratte l’ongle. Pour la troisième fois, je refais le chemin. Le soleil vient à ma rencontre. Comme elle est belle la lumière. Veux-t-on la goûter qu’il faille s’arrêter. Je m’assois. Je m’assois sur un banc. Je m’assois sur un banc devant la chaussée. On peut vite s’enraciner ; quelle force ! Et si ? Et donc. Naturellement si le phénomène inverse se produisait, si le silence gagnait le monde, si tout s’arrêtait, alors mes doigts seraient comme les oiseaux et ma main s’ouvrirait ; mais ça, c’est une autre histoire.     

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